Une Recette pour la
Paix et la Prospérité
Par Paul Craig Roberts, le 5 août 2015
On pose souvent la question : « Que pouvons-nous
faire ? » Voici une recette pour la paix et la prospérité.
Nous allons commencer par la prospérité, parce que la prospérité
peut contribuer à la paix.
Parfois les gouvernements se lancent dans des guerres afin de
détourner le regard de perspectives économiques peu prometteuses, et la
stabilité intérieure peut également dépendre de la prospérité.
La Voie de la
Prospérité
Pour que les Etats-Unis retrouvent la voie de la prospérité,
la classe moyenne doit être restaurée et l’échelle de l’ascension sociale
remise en place. La classe moyenne contribuait à la stabilité politique en
étant un tampon entre les riches et les pauvres. Les échelles de l’ascension
sociale sont une soupape de sécurité qui permet à des gens déterminés de
s’élever de la pauvreté vers la réussite. Des revenus en hausse dans toute la
société alimentent la demande qui est le moteur de l’économie. C’est de cette
manière que fonctionnait l’économie américaine dans la période de l’après-Deuxième
Guerre Mondiale.
Pour rétablir la classe moyenne, les emplois délocalisés à
l’étranger doivent être rapatriés, les monopoles doivent être brisés, les
régulations rétablies, et la banque centrale doit être placée sous contrôle et
rendre des comptes ou être abolie.
La délocalisation des emplois a enrichi les propriétaires et
les dirigeants du capital au détriment de la classe moyenne. Des ouvriers de
production et de l’industrie bien payés ont perdu leurs moyens de subsistance,
tout comme les diplômés des universités formés pour des emplois de services
marchands tels que l’industrie du logiciel ou les technologies de
l’information. On ne trouve plus de salaires et de rémunérations comparables
dans une économie où les emplois disponibles sont ceux d’employés du commerce
de détail, d’aides-soignants dans les hôpitaux, de serveuses et de tenanciers
de bars. La perte de revenus actuelle est encore accentuée par la perte de l’assurance-maladie
et des retraites complémentaires privées qui s’ajoutaient autrefois à la
retraite de la sécurité sociale. Par conséquent, la délocalisation des emplois
a réduit à la fois les revenus actuels et les revenus futurs des consommateurs.
Les emplois de la classe moyenne peuvent être rapatriés en
changeant la manière dont les sociétés sont imposées. Les bénéfices des
sociétés pourraient être taxés sur la base de la valeur que les sociétés
ajoutent à leurs produits vendus sur le marché intérieur américain ou à
l’export. La production locale bénéficierait d’un taux réduit. La production
délocalisée serait imposée à un taux supérieur. Le taux d’imposition pourrait
être fixé de manière à compenser les coûts inférieurs de la production
délocalisée.
Sous les coups répétés des économistes du marché libre, la loi
antitrust Sherman est devenue lettre morte. Les économistes ultralibéraux
prétendent que les marchés sont autorégulateurs et que la législation
anti-monopole est inutile et ne sert qu’à protéger l’inefficacité. Un large
éventail d’activités de petites entreprises ont été monopolisées par des
franchises et des magasins de grandes enseignes. Les entreprises familiales de
pièces détachées automobiles, de quincailleries, de restaurants, de vêtements
pour hommes, d’habillement n’ont plus leur place. L’impact destructeur de
Walmart sur les rues commerçantes est légendaire. Des sociétés de dimensions
nationales ont jeté les entreprises locales à la poubelle.
Le monopole a plus qu’un effet économique. Lorsque six énormes
sociétés ont le contrôle de 90 pourcent des médias américains, la presse
indépendante et diversifiée n’existe plus. Pourtant, la démocratie elle-même
repose sur le fait que les médias contribuent à tenir le gouvernement
responsable de ses actes. Le but du Premier Amendement est de contrôler le
gouvernement, mais aujourd’hui les médias ne servent plus que de ministère de
la propagande au gouvernement.
Les Américains bénéficiaient de services meilleurs et moins
chers lorsqu’ AT&T (American Telegraph & Telephone) était un monopole
réglementé. Le libre-échange dans les communications a eu comme conséquence la
création de nombreux monopoles locaux déréglementés assurant un service
médiocre à des tarifs élevés. La stabilité d’AT&T avait fait du titre une
« valeur sûre » idéale pour les fonds de « veuves et
orphelins », de pension et de préservation de la fortune. Il n’existe plus
d’actions sans risques de ce genre aujourd’hui.
Le monopole a bénéficié d’un grand élan grâce à la
dérégulation financière. La prétention de l’ancien président de la Réserve
Fédérale Alan Greenspan que les « marché se régulent eux-mêmes » et
que la réglementation du gouvernement est nuisible a été réduite en pièces par
la crise financière de 2007-2008. La déréglementation a non seulement permis
aux banques d’abandonner toute prudence mais a également permis une telle
concentration que l’Amérique a maintenant des « banques trop importantes
pour faire faillite ». Une des vertus et des justifications du capitalisme
est que les entreprises inefficaces font faillite et quittent la scène
économique. Au lieu de cela, nous avons des banques qui doivent être maintenues
à flot avec l’aide de l’argent public ou de la Réserve Fédérale. Il est évident
qu’un des résultats de la déréglementation financière a été de protéger les
grandes banques des risques du capitalisme. L’ironie que la libération des
banques de la réglementation se soit traduite par la destruction du capitalisme
semble avoir échappé aux économistes du marché libre.
Le coût du soutien de la Réserve Fédérale aux banques trop
importantes pour faire faillite avec des taux d’intérêts réels nuls ou négatifs
a été dévastateur pour les épargnants et les retraités. Les Américains n’ont
plus touché d’intérêts sur leur épargne pendant sept ans. Pour joindre les deux
bouts, ils ont dû consommer leurs économies. En outre, la politique de la
Réserve Fédérale a artificiellement dopé les marchés d’actions avec les
liquidités que la Réserve Fédérale a créées et a également provoqué une bulle
similaire dans le marché des obligations. Les prix élevés des obligations sont
incohérents avec la croissance de la dette et l’argent imprimé pour maintenir
la dette à flot. La valeur du dollar lui-même dépend de l’assouplissement
quantitatif au Japon et dans l’UE.
Afin de restaurer la stabilité financière, une condition
préalable évidente pour la prospérité, les grandes banques doivent être
démantelées et la distinction entre banque d’investissement et banque de détail
rétablie.
Depuis le régime Clinton, la majorité des secrétaires au
Trésor ont été des dirigeants de grandes banques en difficulté, et ils ont
utilisé leur fonction publique au profit de leurs banques et non de l’économie
américaine. De plus, les cadres des grandes banques occupent les sièges du
Conseil d’administration de la Fed de New York, le principal organe exécutif de
la Réserve Fédérale. Par conséquent, ce sont quelques grandes banques qui
contrôlent la politique financière américaine. Cette conspiration doit être
brisée et la Réserve Fédérale rendue responsable de ses actes ou abolie.
Ceci exige de séparer l’argent de la politique. La capacité de
quelques puissants groupes d’intérêt privés à contrôler les résultats des
élections par leurs contributions aux campagnes électorales est un anathème
pour la démocratie. Il y a un an, la Cour Suprême Républicaine a jugé que les
riches avaient un droit constitutionnel d’acheter le gouvernement par des
contributions aux campagnes électorales au service de leurs intérêts égoïstes.
Ce sont les mêmes juges Républicains qui n’accordent aucun
droit constitutionnel à l’habeas corpus et qui, donc, n’ont émis aucune
objection à la détention indéfinie de citoyens américains. Ce sont les mêmes
juges Républicains qui n’ont vu aucun inconvénient constitutionnel à
l’autoaccusation et, de ce fait, ont toléré la torture. Ce sont les mêmes juges
Républicains qui ont abandonné la voie légale et permis au gouvernement
américain d’assassiner des citoyens américains.
Pour se débarrasser du contrôle que l’argent exerce sur la vie
politique, il faudra probablement une révolution. A moins que la prospérité ne
soit réservée uniquement aux Un Pourcent, l’assaut de la Cour Suprême contre la
démocratie doit être surmonté.
La Voie vers la Paix
est difficile
Retrouver la paix est encore plus difficile que de retrouver
la prospérité. Comme la prospérité est une condition préalable à la paix, la
paix exige des changements à la fois dans l’économie et dans la politique
étrangère.
Retrouver la paix est un défi particulièrement difficile, non
parce que les Américains sont menacés par des terroristes musulmans, des
extrémistes de l’intérieur et par les Russes. Ces « menaces » ne sont
que des canulars orchestrés au nom d’intérêts particuliers. « Des menaces
pour la sécurité » sont synonymes de plus de profits et de plus de pouvoir
pour le complexe militaro-sécuritaire.
La « guerre au terrorisme » forgée de toutes pièces se
déroule depuis maintenant 14 ans et n’a réussi qu’à créer plus de
« terreur » qui doit être combattue avec d’énormes dépenses en
argent. Apparemment, les Républicains ont l’intention de rediriger l’argent
servant à financer la Sécurité Sociale et l’Assistance-maladie vers le complexe
militaro-sécuritaire.
La « promenade de santé » de trois semaines en Irak
s’est transformée en une défaite de 14 ans, avec l’Etat Islamique radical
contrôlant la moitié de l’Irak. La résistance islamique à la domination
occidentale s’est étendue à l’Afrique et au Yémen, à l’Arabie Saoudite, à la
Jordanie et aux émirats pétroliers qui sont des fruits mûrs prêts à être
cueillis.
Ayant permis au génie de sortir de la bouteille au
Moyen-Orient, Washington a entrepris d’entrer en conflit avec la Russie et par
extension avec la Chine. C’est un gros morceau pour un gouvernement qui n’a pas
été capable de vaincre les Talibans en Afghanistan au bout de 14 ans.
La Russie n’est pas un pays habitué à la défaite. En outre, la
Russie dispose d’énormes forces nucléaires et d’un immense territoire pour
absorber toute invasion des Etats-Unis/de l’OTAN. Entrer en conflit avec un
pays bien armé doté du plus grand territoire au monde démontre un manque
élémentaire de sens stratégique. Mais c’est pourtant ce que Washington tente de
faire.
Washington essaie de provoquer une guerre avec la Russie,
parce que Washington s’est engagé à appliquer la doctrine néoconservatrice qui
veut que l’Histoire a choisi Washington pour exercer son hégémonie sur le
monde. Les Etats-Unis sont le pays « exceptionnel et indispensable »,
la puissance Unique choisie pour imposer la volonté de Washington au monde.
Cette idéologie gouverne la politique étrangère américaine et
exige la guerre pour la faire respecter. Dans les années 1990, Paul Wolfowitz a
sanctuarisé la Doctrine Wolfowitz dans l’Armée et la politique étrangère des
Etats-Unis. Dans sa forme la plus brutale, la Doctrine énonce :
« Notre premier objectif est d’empêcher la réémergence
d’un nouveau rival, que ce soit sur le territoire de l’ex-Union Soviétique ou
ailleurs, qui représente une menace de l’importance de celle constituée
précédemment par l’ancienne Union Soviétique. C’est le principe dominant qui
sous-tend la nouvelle défense stratégique régionale et qui exige que nous
empêchions toute puissance hostile de dominer une région dont les ressources
pourraient, sous un contrôle fédéré, être suffisantes pour faire émerger une
puissance mondiale. »
En tant qu’ancien membre de la première Commission de la
Guerre Froide sur le Danger Actuel (Cold War Committee on the Present Danger),
je peux expliquer ce que ces mots signifient. La « menace constituée
précédemment par l’Union Soviétique » était la capacité de l’Union
Soviétique de bloquer des actions unilatérales des Etats-Unis dans quelques
endroits du monde. L’Union Soviétique représentait une contrainte pour l’action
unilatérale des Etats-Unis, pas partout mais dans certains endroits. Cette
contrainte exercée sur la volonté de Washington est considérée comme une
menace.
Une « puissance hostile » est un pays menant une
politique étrangère indépendante, tel que les BRICS (Brésil, Russie, Inde,
Chine et Afrique du Sud) l’ont proclamé. L’Iran, la Bolivie, l’Equateur, le
Venezuela, l’Argentine, Cuba et la Corée du Nord ont également proclamé une
politique étrangère indépendante.
C’est trop d’indépendance au gré de Washington. Comme l’a
déclaré récemment le Président russe Vladimir
Poutine : « Washington ne veut pas de partenaires. Washington
veut des vassaux. »
La doctrine Wolfowitz exige que Washington se passe des
gouvernements qui ne se soumettent pas à sa volonté. C’est un « premier
objectif ».
L’effondrement de l’Union Soviétique a eu comme conséquence de
voir Boris Eltsine devenir le président d’une Russie démembrée. Eltsine était
une marionnette docile des Etats-Unis. Washington s’est accoutumé à son nouveau
vassal et s’est plongé dans ses guerres au Moyen-Orient, en s’attendant à ce
que Vladimir Poutine continue à se comporter en vassal.
Néanmoins, lors de la 43ème Conférence de Munich
sur la Politique de Sécurité, Poutine a déclaré : « J’estime que le
modèle unipolaire est non seulement inacceptable mais également impossible dans
le monde d’aujourd’hui. »
Poutine a poursuivi en disant : « Nous
assistons à un dédain grandissant pour les principes de base de la loi
internationale. Et les normes juridiques indépendantes, de fait, évoluent de
plus en plus vers le système juridique d’un seul pays. Un état et, bien sûr,
tout d’abord et essentiellement les Etats-Unis, a franchi ses frontières
nationales dans tous les domaines. On le constate dans toutes les politiques,
économique, politique, culturelle et éducative qu’il impose à d’autres nations.
Eh bien, qui aime cela ? Qui est heureux de cela ? »
Lorsque Poutine a lancé ce défi fondamental à la puissance
Unique des Etats-Unis, Washington était préoccupé par son manque de réussite
dans les invasions de l’Afghanistan et de l’Irak. La mission n’était pas
remplie.
En 2014 il était entré dans les crânes épais de nos dirigeants
à Washington que pendant qu’ils faisaient exploser des mariages, des enterrements,
des anciens sages des villages et des enfants jouant au football au
Moyen-Orient, la Russie s’était affranchie du contrôle de Washington et
présentait un formidable défi à la puissance Unique de Washington. Poutine et
la Russie en ont eu assez de l’arrogance de Washington.
La montée en puissance indiscutable de la Russie a provoqué un
changement dans la focalisation de Washington qui est passée du Moyen-Orient
aux vulnérabilités de la Russie. L’Ukraine, longtemps une partie intégrante de
la Russie et plus tard de l’Union Soviétique, avait été séparée de la Russie à
la suite de l’effondrement soviétique en raison de manœuvres de Washington. En
2004, Washington avait essayé de récupérer l’Ukraine lors de la Révolution
Orange, qui n’a pas permis à l’Ukraine de tomber entre les mains de Washington.
En conséquence, selon la Secrétaire-adjoint du Département d’Etat Victoria
Nuland, Washington a dépensé 5 milliards de $ au cours de la décennie suivante
pour développer des ONG qui pourraient être appelées à manifester dans les rues
de Kiev et faire émerger des dirigeants politiques qui pourraient représenter
les intérêts de Washington.
Washington a démarré son coup d’état en février 2014 en
orchestrant des « manifestations » qui, ajoutées à la violence, a eu comme
conséquence le renversement et la fuite du gouvernement démocratiquement élu de
Viktor Ianoukovytch. En d’autres termes, Washington a détruit la démocratie
dans un nouveau pays par un coup d’état avant que la démocratie ne puisse s’y
implanter.
La démocratie ukrainienne ne signifiait rien pour Washington
dans son intention de se saisir de l’Ukraine dans le but de poser un problème
de sécurité à la Russie et également pour justifier de sanctions contre
« l’agression russe » afin de rompre les relations croissantes
économiques et politiques de la Russie avec l’Europe.
Après s’être lancé dans cette agression téméraire et
irresponsable d’une puissance nucléaire, Washington peut-il manger son chapeau
et faire marche arrière ? Les médias de masse contrôlés par les
néoconservateurs le permettraient-ils ? Le gouvernement russe, approuvé
par 89% du peuple russe, a dit clairement que la Russie refusait le statut de
vassal en contrepartie de faire partie de l’Occident. L’implication de la
doctrine Wolfowitz serait que la Russie doit être détruite.
Cela implique notre
propre destruction.
Que peut-on faire pour rétablir la paix ? Il est évident
que l’UE doit sortir de l’OTAN et déclarer que Washington représente une plus
grande menace que la Russie. Sans l’OTAN, Washington n’a pas de soutien pour
son agression et pas de bases militaires pour encercler la Russie.
C’est Washington, non la Russie, qui a une idéologie du
« über alles ». Obama a endossé la prétention néoconservatrice que
« l’Amérique est un pays exceptionnel ». Poutine n’a pas émis une
telle prétention pour la Russie. La réaction de Poutine à la prétention d’Obama
a été que « Dieu nous a créés égaux ».
Afin de rétablir la paix, les néoconservateurs doivent être
évincés des postes de contrôle de la politique étrangère au gouvernement et
dans les médias. Cela signifie que Victoria Nuland soit évincée du poste de
Secrétaire-adjoint au Département d’Etat, que Susan Rice doit être évincée de
son poste de Conseiller à la Sécurité Nationale, et que Samantha Power soit
évincée de son poste d’ambassadeur aux Nations-Unies.
Les néoconservateurs fauteurs de guerre doivent être évincés
de Fox News, de CNN, du New York Times, du Washington Post, et du Wall Street
Journal, et ces propagandistes de la guerre remplacés par des voix
indépendantes.
Il est évident que rien de tout cela ne va se produire, mais
il le faut pourtant si nous voulons échapper à l’armageddon.
Cette recette pour la paix et la prospérité est saine. La
question est : pouvons-nous la mettre en œuvre ?
Le Dr. Paul Craig Roberts était
Secrétaire-adjoint au Département du Trésor, responsable de la Politique
Economique et corédacteur du Wall Street Journal. Il a été éditorialiste pour
Business Week, Scripps Howard News Service, et Creators Syndicate. Il a occupé
divers postes universitaires. Ses éditoriaux sur internet ont attiré un
lectorat mondial. Les derniers livres de Roberts sont The
Failure of Laissez Faire Capitalism and Economic Dissolution of the West
(L’échec du capitalisme du laissez-faire et la dissolution économique de
l’Occident) et How America Was Lost (Comment
l’Amérique a été perdue).
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Translator: Patrick T.
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