Maria
Zakharova, une femme au cœur du pouvoir russe
- /21 novembre 2022
- /Réseau International
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Voici
une interview vraiment remarquable de Maria Zakharova, porte
parole du ministre des Affaires étrangères russe par le journal français Le
Point. Une fois n’est pas coutume, on ne peut qu’être agréablement surpris par
la publication d’un tel document dans un hebdomadaire français de niveau
national et dans le contexte général d’une véritable hystérie russophobe.
Le
point de vue russe est enfin mis à la disposition des citoyens de notre pays
qui ne sont pas aveuglés par la Propagande de guerre. Difficile de ne pas
trouver de nombreux points de convergence avec les propos tenus par Maria
Zakharova. Dominique Delawarde
***
Maria
Zakharova, 46 ans, est depuis 2015 la porte-parole du ministère des Affaires
étrangères de la Fédération de Russie. Première femme à occuper ce poste au cœur du pouvoir,
elle est connue pour son franc-parler et son infatigable détermination à
développer et préciser la vision russe du monde, notamment sur sa chaîne
Telegram. La rencontre, sans interprète, a duré plus d’une heure dans une salle
de réunion du ministère des Affaires étrangères, en plein centre de Moscou, la
veille du départ de la délégation russe pour le G20 de Bali.
Rompue
à l’exercice, Maria Zakharova a répondu avec verve, sans consulter les notes
qui lui avaient été préparées par ses services. Classée par la BBC, il y a cinq
ans, parmi les 100 femmes les plus influentes du monde, elle n’avait pas
accordé d’interview à un média occidental depuis plusieurs mois. La traduction
de ses propos, effectuée par nos soins, a été validée par le ministère.
Le Point : Qu’est-ce que
l’Occident aurait selon vous « raté » dans ses relations avec la Russie ? Et
plus particulièrement dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
Maria Zakharova : Tout a commencé à la fin des années 1980 et au
début des années 1990. À l’époque, on pouvait encore différencier l’Europe des
États-Unis. Avant la dislocation de l’URSS, le monde était bipolaire. Quand les
États membres du pacte de Varsovie ont commencé à le quitter – et ce processus
a débuté avant la fin de l’URSS –, l’Europe aurait pu affirmer son
indépendance. L’URSS était en faveur de l’union des deux Allemagne, les
États-Unis étaient contre…
C’est là que l’Europe a commencé à saisir ce que ça signifiait d’être vraiment l’Europe unie, sans ligne de démarcation. Elle a commencé à s’unir. Là aussi, nous étions pour. Nous disions : nous sommes avec vous ! Unissons-nous, intégrons-nous ! Construisons un avenir ensemble ! Mais là, ça a été l’horreur : les États-Unis d’Amérique, les élites, « l’État profond », je ne sais pas vraiment, ont tout d’un coup compris que ça serait un cauchemar. Que si l’Europe s’unissait avec nous, avec nos ressources russes, ça leur ferait non seulement de la concurrence, mais ça serait même la fin pour eux.
D’abord,
ils se sont prononcés contre notre intégration, ont refusé le régime sans visa,
ensuite, ils ont commencé le processus de rapprochement de leurs bases
militaires, avec des contingents et du matériel, vers nos frontières. Puis ils
ont accepté de nouveaux membres dans l’OTAN, mais surtout, ils ont créé ce
narratif historique anti-russe.
Le Point : À quel moment cela a-t-il basculé ?
Maria Zakharova : Au début des années 2000, quand on a fini par
comprendre de quoi il s’agissait, nous leur avons dit : eh, dites donc
camarades, quel monde construit-on ? C’est nous qui nous sommes ouverts à
l’Occident, et pas l’inverse ! L’Europe, elle, a poursuivi son intégration,
notamment économique : création de l’euro, de Schengen ; et pour les
États-Unis, ça a été un second choc : le dollar a cessé d’être la seule devise
dominante. Or le dollar n’est sécurisé que sur sa propre dette, sur rien
d’autre. Alors que l’euro, lui, est sécurisé par le niveau économique élevé
d’une vingtaine de pays, sans compter les économies des pays de l’Europe
orientale, de l’Europe centrale et du Nord… Pardon, mais c’est une économie
puissante, et qui, en plus, à ce moment-là, se nourrissait du fort potentiel
des ressources russes !
En
face, la devise américaine, c’est une bulle de savon ! Là, ils ont compris
qu’il fallait agir, non seulement envers nous, mais aussi envers l’Europe : ils
ont commencé à saper nos liens énergétiques avec l’Ukraine qui est devenue le
nœud central de cette politique. Les politiques ukrainiens se sont mis à
s’écrier qu’on était très dangereux parce qu’on ne leur livrait pas notre gaz
gratuitement, les Américains ont répondu aux Européens, mais achetez donc le nôtre
! Les Européens ont rétorqué : il est cher, si on achète plus cher, nos
opinions publiques ne comprendront pas… Augmentez donc les impôts, ont-ils
répondu ! Problème, parce que les impôts, c’est aussi le peuple, a répondu
l’Europe. OK, d’accord, débrouillez-vous,
voilà ce qu’on dit les Américains.
Donc, l’Ukraine, c’est juste un instrument, c’est tout
! L’Europe a deux bananes dans les oreilles.
Le Point : Donc, pour vous, cette situation n’est pas une nouveauté ?
Maria Zakharova : Quelle nouveauté ? Que l’Europe a les deux
yeux fermés et deux bananes dans les oreilles ? Tout ça, c’est à cause de vos
médias qui ne se sont jamais déplacés dans le Donbass pendant toute cette
période, à l’exception de quelques-uns. Au moment de Pussy Riot ou de Navalny,
en revanche, ils étaient tous là. Mais là-bas, quand des milliers de personnes
mouraient, il n’y avait personne. Et savez-vous que depuis 2014, les Criméens
n’ont pas eu droit à des visas Schengen ? Pourquoi ? Parce qu’ils auraient
pu raconter la situation !
En
revanche, il suffisait de venir en Crimée pour s’en rendre compte par soi-même.
En 2016, on a organisé des
voyages de presse en Crimée, on a demandé aux journalistes ce qu’ils voulaient
voir et faire, on a dit OK à tout. Un Français a dit qu’il
voulait aller sur la base navale de la flotte de la mer Noire. On a accepté. Mais quand on a lu son article, on n’en
croyait pas nos yeux, une telle censure ! Son titre était quelque chose du
genre « pour faire peur à l’Europe, la Russie a regroupé des journalistes et
leur a montré la flotte de la mer Noire », et vous me demandez pourquoi
l’Europe n’est au courant de rien ! Justement à cause de ce genre de
journalistes !
Le Point : Depuis neuf mois, la Russie a-t-elle réussi à développer ses
relations avec des pays en dehors de la sphère occidentale ?
Maria Zakharova : Nous ne nous impliquons pas dans des
coups ou des renversements. Pendant
toutes ces années, nous nous sommes vraiment efforcés de nous tourner vers
l’Occident. Aujourd’hui, nous souhaitons avoir des relations harmonieuses et
équilibrées avec tous ceux avec qui il est possible de construire des relations
sur un pied d’égalité, mutuellement respectueuses et bénéfiques. Une
conception « multi vecteurs » avait commencé à être déployée dès l’arrivée de
Primakov aux Affaires étrangères (Evgueni Primakov a été ministre des Affaires
étrangères de 1996 à 1998 avant de devenir Premier ministre, NDLR). Avant lui,
on n’avait d’yeux que pour l’Occident. Kozyrev (Andreï Kozyrev a été ministre
des Affaires étrangères de 1990 à 1996, NDLR) avait même prononcé la phrase
suivante : « Il est impossible pour la Russie d’avoir des intérêts qui
différeraient de ceux des États-Unis » ! Oui, il l’a dit, et aujourd’hui il dit
que Lavrov était bien avant, et qu’aujourd’hui, il est terrible…
Mais
ce qui est terrible, c’est justement ce qui s’est passé avec Kozyrev, et pas
avec Lavrov. Ceux qui ont dirigé la Russie dans ces années 1990 avaient même
l’impression qu’ils pouvaient réduire le nombre d’ambassades russes dans le
monde, et ils l’ont fait ! Ils
ne payaient pas les salaires des fonctionnaires du ministère, ne les envoyaient
plus en mission, etc. Primakov, lui, a insisté sur nos intérêts
nationaux et sur la nécessité d’une diplomatie forte. Il a tout fait pour qu’on
reçoive nos salaires et que nos ambassades ne manquent de rien. C’est depuis ce
moment-là que la Russie a commencé à tisser des liens étroits en dehors de
l’Occident. Et aujourd’hui, ces pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine sont
justement ceux qui, contrairement aux exigences des USA, n’adoptent pas de
position anti-russe. Et ils représentent la majorité des pays du monde !
L’armement
que vous envoyez en Ukraine est déjà en train de se déverser en Europe sur le
marché noir.
Le Point : L’Occident mène-t-il, selon vous, une politique anti-russe ?
Maria Zakharova : Ce n’est pas une position anti-russe, c’est une
position antinationale vis-à-vis de vos propres peuples. Qu’avons-nous à voir
là-dedans ? Bien sûr, nous aimerions être perçus normalement, objectivement et
positivement, mais que peut-on y faire ? En premier lieu, c’est vous-même que
vous détruisez ! Finalement, vous n’avez plus rien, vous ne disposez plus des
ressources ni des possibilités que vous offraient les relations avec la Russie,
et vous n’avez même plus la paix en Europe.
L’Ukraine flambe depuis 2014 dans le Donbass et
personne ne s’en préoccupait. Vous n’arrivez même pas à comprendre que
tout l’armement que vous envoyez en Ukraine est déjà en train de se déverser en
Europe sur le marché noir. Vous savez pourquoi ? Parce que ce que vous pensez
être la mafia « russe » n’a jamais été « russe », ce sont plutôt des gars de
Moldavie et d’Ukraine. Vous avez toujours cru que tous ceux qui venaient de
l’ex-URSS étaient des Russes, vous n’avez jamais fait la distinction. Vos
ministères de l’Intérieur, vos forces policières et services de renseignements
sont au courant, mais l’opinion publique en général ne le sait pas. Je vous
félicite, après avoir reçu les « élites » d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient,
aujourd’hui vous avez remplacé tout ça par des gens qui viennent d’Ukraine,
mais ce ne sont pas des gens qui veulent travailler ou étudier…
Le
Point : Vous voulez dire, les réfugiés de guerre ?
Maria Zakharova :Oui, vous les appelez comme ça. Beaucoup souffrent de la situation humanitaire, c’est
vrai, mais ce ne sont pas des gens qui apporteront leur part personnelle à la
vie en Europe, ils vont juste en profiter !
Ils ont besoin d’allocations, de logements et ils
utiliseront cette situation politique. Ils ont vu comment en profiter… Nous
connaissons leur mentalité, vous non. Vos belles valeurs sur la tolérance ont
perdu leur sens : on est passé à la complaisance. La tolérance n’est plus du
tout le respect d’un avis différent ou la possibilité d’écouter quelqu’un qui
n’a pas la même mentalité que vous, c’est devenu une complaisance vis-à-vis de
tous ses actes d’une personne, bons ou mauvais. Du coup, c’est le chaos.
Le Point : Parleriez-vous ainsi si nous étions avant le début de la guerre, en février 2022 ?
Maria Zakharova : Bien sûr ! Ça fait des années qu’on le dit,
au moins depuis 2014. Et souvenez-vous qu’en 2007, Vladimir Poutine était venu
à la conférence de Munich. Il avait dit : « Réfléchissez bien, que voulez-vous
de nous ? Que nous soyons ensemble ou pas ? Sachez que nous, on ne peut pas
rester impassibles face à vos mensonges ! »
En
2015, sur la Syrie, Poutine déclare à l’Assemblée générale de l’ONU : « Si
vous voyez, comme moi, que l’État islamique existe, il faut s’unir pour le
contrer. Comme en 1941, quand nous avons tous raté Hitler justement parce que
vous ne vous étiez pas décidé à temps ! Unissons-nous et ensemble, nous
vaincrons l’EI. » Une moitié du public s’est moquée, l’autre a hué… Poutine a
dit OK, il est rentré à Moscou, et la semaine suivante nos avions partaient
pour la Syrie. Il avait raison,
en tous points, même si, à l’époque, beaucoup nous ont menacés. Aujourd’hui,
les mêmes pays nous remercient et nous disent qu’on les a sauvés ! Qu’est-ce
que vous croyez ? Que ça se serait terminé comme ça avec la Syrie ? Pas du
tout, « l’Occident collectif » aurait été ailleurs, là où il y a du gaz et du
pétrole. Ils ne vont jamais là où règnent la pauvreté, les problèmes et la
famine. Uniquement là où il y a des ressources.
Le Point : L’Occident ne se serait réveillé qu’à cause du conflit en Ukraine ?
Maria Zakharova : Qui s’est réveillé ? L’Occident ? Il dort d’un sommeil léthargique. Ce sont
les États-Unis d’Amérique les plus actifs à ce jeu. L’Union européenne est un
peu comme le /Titanic/, l’eau rentre par tous les côtés, mais l’orchestre
continue à jouer !
Dès
que la bataille est honnête, les Américains perdent.
Le Point : Les médias et dirigeants politiques occidentaux ont
interprété le retrait des troupes russes de Kherson comme une défaite .
Pouvez-vous convaincre qu’il en est autrement ?
Maria Zakharova : Nous n’avons aucune intention de convaincre
quiconque de quoi que ce soit. L’époque
où on essayait de convaincre est passée, c’est leur problème. À eux de voir
comment ils vont prendre tout ça ! Certains dorment, ou nous sifflent, mais
tous s’occupent de livraisons d’armes, et nous, on a déjà compris que la
discussion sous ce format était inutile. On leur a couru après pendant huit
ans, on a essayé d’obtenir, via les Occidentaux, que Kiev respecte les accords
de Minsk. Pendant huit ans, les Occidentaux ne l’ont pas fait. Et on irait
maintenant parler avec eux ?
Je
comprendrais que vous n’avez pas pitié de nous, je comprends même que vous
n’ayez pas pitié de l’Ukraine, mais enfin, vous n’avez même pas pitié de
vous-mêmes, avec toutes ces armes que vous livrez, vous avez oublié tous les
actes terroristes commis sur vos sols ? Vous en avez tous subi. Personne n’y prête attention,
c’est devenu un problème de politique intérieure. En plus, à la tête des
institutions politiques de certains de ces pays se tiennent des personnes liées
aux États-Unis parce qu’elles y ont étudié, travaillé… Les
États-Unis ne veulent qu’une chose : primo, dominer le monde et être les seuls
qui contrôlent tous les processus ; deuzio : ne pas avoir de concurrents…
Or,
dès que la bataille est honnête, ils perdent. Technologiquement, ils ont déjà
perdu face à la Chine ; économiquement, financièrement et d’un point de vue
civilisationnel, ils ont perdu face à l’Europe et au reste du monde ; du point
de vue de leur complexe militaro-industriel, ils ont compris qu’ils étaient en
retard. Pour ce qui est du cosmos, je suis ravie qu’on puisse y envoyer des
voitures, mais ça a été rendu possible grâce à nos fusées de lancement ! Tout
ça n’est que de la com. En fait, les États-Unis ont tout perdu à cause de la
crise de leur système fondé sur cette suprématie du dollar. Leur dette est gigantesque.
Leur économie n’est pas réelle, elle n’est que virtuelle. Il vous faut des
preuves ? Écoutez Trump ! Quand
il parlait de « Make America Great Again » ça voulait dire qu’il fallait
revenir à l’économie réelle !
Souvenez-vous comment le G20 a été créé, en 2008, au
moment où le marché américain de l’immobilier avait éclaté, embarquant avec lui
toutes les Bourses mondiales. C’était une crise mondiale mais
artificielle, à cause du système hypothécaire américain… Or, là, en 2008,
ils avaient besoin de tout le monde pour réanimer le système économique
mondial, de l’UE, du Brésil, des pays du Golfe, de la Russie, de la Chine. « Big Brother », pardon pour l’expression, avait fait
dans sa culotte, il fallait que tout le monde aide… Ensuite,
quand il s’est remis, « Big Brother » a commencé à se mêler de l’Irak, de la
Libye, de l’Afghanistan, de la Syrie, et de l’Ukraine…
Le Point : Les relations russo-américaines
étaient-elles plus faciles sous Trump que sous Biden ?
Maria Zakharova : Pas du tout, surtout quand, tous les jours, Trump
était accusé d’avoir des liens spéciaux avec les Russes… Et qu’est-ce que ça
veut dire « plus facile » ?
Le Point : N’est-ce pas plus compliqué aujourd’hui, avec Biden ?
Maria Zakharova :Aujourd’hui, c’est plus marrant… Non, je plaisante,
mais on se rend tous compte que ce qui se passe est absurde. Le scrutin qui a
élu Biden en 2020 s’est déroulé de manière sauvage, pas honnête. Les Américains
eux-mêmes le disent : lisez les sondages selon lesquels la population ne croit
pas en ces résultats ! Et
de quelle liberté d’expression parle-t-on quand on ferme le compte Twitter d’un
président en exercice, rendez-vous compte, en exercice ! Uniquement
parce que c’est le souhait des sphères libérales !
En
2016, Trump a gagné justement parce qu’il avait été capable de s’adresser
directement à son public via les médias sociaux. Pendant ces 4 ans, il n’y a
pas eu un seul jour où on ne l’accusait pas de liens avec la Russie, mais
qu’avons-nous donc à voir là-dedans ? En revanche, nous avons bien vu comment certains dirigeants européens
étaient liés, eux, à Hillary Clinton. François Hollande, par
exemple, qui l’a félicitée avant même que les résultats soient proclamés, il
voulait sans doute être le premier. Le problème est plutôt qu’on a accusé la Russie de soutenir Trump, même
si aucun fait ne le prouve, alors que certains soutenaient ouvertement Hillary
Clinton et là, c’est encore une fois deux poids, deux mesures. Ils pensent
qu’ils ont le droit de le faire et pas nous. Ils expliquent que
c’est parce que nous ne serions pas une « vraie » démocratie. Voilà, tout est dit.
Classe ! On leur demande : mais qui définit une «
vraie » démocratie ? Nous, « l’Occident collectif », ils répondent. L’Iran ?
Non, l’Iran n’est pas une démocratie, le Venezuela ? Non
plus… En 2020, Mme Rodriguez, la vice-présidente du Venezuela, a prononcé une
phrase géniale lors d’une visite ici à Moscou : « Savez-vous combien de
scrutins électoraux nous avons organisés ? Pas un seul n’a plu aux États-Unis !
Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas les élections qui les intéressent, mais
leurs résultats ! » C’est ainsi : les Américains ne considèrent comme légitimes
que les résultats électoraux qui leur conviennent.
Le Point : Le /Wall Street
Journal /affirme que, ces dernières semaines, le Kremlin et l’administration
présidentielle ont mené des discussions officielles concernant la menace
nucléaire. Confirmez-vous ?
Maria Zakharova :Je ne sais pas à quels contacts en
particulier vous faites allusion. En revanche, pour ce qui concerne notre position sur l’arme nucléaire,
nous essayons de rassurer tout le monde. Nous avons publié une
déclaration à ce propos sur le site du ministère des Affaires étrangères.
Cessons ces spéculations, cessons d’en parler.
Le Point : Mais si Vladimir Poutine en parle, les spéculations reprendront…
Maria Zakharova : En parle-t-il maintenant ? Non. C’est nous
qui décidons ce qu’on a envie de dire, et vous, vous décidez ce que vous avez
envie d’entendre. Nous continuerons à dire ce que nous avons envie de dire. Et
pour ce qui est de poursuivre le dialogue, écoutez… Ici, Macron nous a tous
fatigués.
Surtout
quand on a appris que pendant ses coups de fil avec Moscou, il y avait une
caméra derrière lui et que tout était enregistré pour un film (/Un président,
l’Europe et la guerre/, 2022, NDLR). Avec qui on parle alors, et de quoi ? Cela
fait huit ans qu’on a déjà discuté de tout et pour ce qui est de l’Ukraine, ce
sont les États-Unis qui décident.
Rendez-vous
compte que l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne a traité le chancelier Scholz
de « saucisse offensée » (en mai 2022, NDLR), c’est comme s’il lui disait que
son seul boulot était de continuer à donner de l’argent, des armes. Avec qui
pourrait-on parler de l’Ukraine dans l’UE? Conseillez-moi. Peut-être avec Borrell
? Ou avec un Italien ? Ou avec l’Allemande Baerbock, spécialiste de l’écologie
? Avec qui parler, et de quoi ? Ils
ne savent même pas de quoi ils parlent…
Le Point : Personne en Europe ne pourrait donc
influencer la situation ?
Maria Zakharova : Ils le pourraient, s’ils admettaient que le
centre des décisions se trouve à Washington qui prend des sanctions, établit
des listes, livre des armes, dit qu’il faut accueillir des réfugiés, faire
ceci, ou voter cela… Comment les Européens pourraient-ils admettre tout ça,
alors qu’ils n’arrivent même pas à être indépendants, c’est-à-dire à agir par
eux-mêmes ? Le plus triste, et je le dis sur un ton sarcastique, c’est que
chaque État de l’UE pense qu’il est indépendant, en est convaincu, même s’ils
sont incapables de dire en quoi ça consiste. Ils sont même incapables de
poser des questions tout doucement, par exemple, celle-ci : qui a fait exploser
les gazoducs (Nord Stream, NDLR) au fond de la mer Baltique ? Ils n’ont même
pas le droit de la poser. Pourtant, quand un certain Skripal avait été
empoisonné (Sergueï Skripal est un agent russe devenu un agent double
britannique, qui a survécu en 2018 à une tentative d’empoisonnement au
Novitchok, NDLR), toute l’Europe en parlait… mais en quoi cela concernait-il la
France, l’Italie, la Grande-Bretagne ? Ils ne savaient même pas ce qui s’était
vraiment passé.
Alors
que ce projet est celui d’une infrastructure nous concernant tous. Oui, c’est
notre gaz et nos tubes, mais pour approvisionner l’Europe ! Il a été détruit et
aucun chef d’État ou Premier ministre de l’UE n’ose poser cette question simple
: qui a fait ça ? Et vous me parlez de politique indépendante européenne ! Le
peuple, lui, est capable de se poser des questions, mais chez lui, pas
publiquement. Dès que quelqu’un
s’exprime là-dessus, les services spéciaux viennent le voir et l’accusent
d’être un agent russe.
Le Point : Vous pensez que ce que vous dites là arrive en France ?
Maria Zakharova : Je ne le pense pas, je le sais…
Le Point : La russophobie existe-t-elle en France ?
Maria Zakharova :Les Français tentent d’y résister parce
qu’ils lisent, regardent des films, vont au théâtre et qu’ils sont habitués à
penser et réfléchir par eux-mêmes grâce à leur niveau de culture. Mais on
essaie de la leur imposer d’en haut. Comme en Espagne, au Portugal et en Grèce.
Le Point : Vous évoquez souvent ce que vous qualifiez de « deux poids, deux mesures » entre la Russie et l’Occident, pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par-là en rapport avec l’Ukraine ?
Maria Zakharova :Voici un exemple : en 2012, un groupe de
jeunes femmes russes habillées en punk a fait irruption dans une cathédrale de
Moscou. Elles s’appelaient les Pussy Riot. Elles ont bondi derrière l’autel,
dansé sur fond d’icônes et d’objets saints, fait quelques déclarations et posté
ce moment sur les médias sociaux. En Russie, le peuple et les structures de
sécurité ont été épouvantés. Cette cathédrale du Christ Sauveur est la plus
grande sur le territoire de la Russie, elle a été complètement reconstruite
après sa destruction par les communistes qui en avaient fait une piscine. Elle
avait été érigée avec l’argent du peuple, d’abord au XIXe siècle pour célébrer
notre victoire sur Napoléon en 1812, puis au XXe. Ces filles ont profané en
quelques minutes tout ce en quoi les gens de notre pays croient ! Elles
voulaient provoquer. Le
monde libéral les a défendues et aussi Madonna, Sting, Red Hot Chili Peppers,
etc. On nous disait : Comment osez-vous punir des jeunes femmes pour leurs
actes civiques ? C’est de l’art !
Aujourd’hui, on voit qu’en différentes parties de
l’Europe des activistes, du même âge qu’elles, pénètrent dans les musées et
jettent une substance sur des œuvres. Ils protestent contre ce
qu’ils estiment être un préjudice infligé à la nature par les industries. Leur
but n’est pas de détruire l’œuvre d’art protégée par une vitre, mais d’attirer
l’attention sur ce problème. Et
que voit-on ?
Personne ne s’exprime en leur faveur. Ni l’Union
européenne, ni le président des États-Unis, ni aucun diplomate ne les
soutiennent, alors que chacun d’entre eux défend un programme environnemental
et que dans tous ces pays, les démocrates considèrent l’écologie comme un thème
central. Tout ça pour vous dire que des actions grotesques
similaires n’aboutissent pas aux mêmes réactions.
Quand
ça se passe en Russie, c’est critiqué, mais dès que ça touche l’Occident, ces
personnes sont considérées comme des hooligans ! Pourquoi ? J’aimerais
bien le savoir ! Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Combien
de jeunes ont terminé en prison pour avoir participé aux Gilets jaunes en
France ou à des protestations en Amérique ? Des centaines, des milliers de gens
partis à l’assaut du Capitole ont été pénalement condamnés. Mais dès que c’est
chez nous, ça concerne immédiatement les États-Unis, Bruxelles, Paris, Rome,
Madrid, Lisbonne ! J’ai envie de dire : eh, les amis, faudrait peut-être avoir
les mêmes standards !
Pour ce qui est des élections, c’est la même chose.
Aux États-Unis : personne ne comprend ce qui s’est vraiment passé. Des
observateurs de l’OSCE se sont exprimés avec grande délicatesse sur les
violations. Je le sais, j’ai attentivement lu leur conférence de presse. Alors
que pour ces mêmes observateurs occidentaux, pas un seul scrutin ne s’est
déroulé tranquillement chez nous. Chaque fois, c’était la même hystérie. Nous
ne nous mêlons pas des élections aux États-Unis, alors qu’ils ne se mêlent pas
des nôtres ! C’est un second exemple. Et au Venezuela ! Pour les Occidentaux,
Maduro n’est pas président. OK mais qui est-ce alors ? Même si aujourd’hui,
tout a changé, Macron l’a salué, et aussi Kerry qui, je le rappelle, représente
un pays qui le recherche.
Le Point ? Et l’Ukraine ?
Maria Zakharova : En ce qui concerne l’Ukraine, tout a commencé quand
les États-Unis, de concert avec l’Union européenne, Bruxelles, Berlin et Paris
dans une moindre mesure, Varsovie et les pays Baltes ont commencé à se mêler
des affaires internes de ce pays, et ils n’ont pas fait que ça : ils ont
carrément modelé la situation sur place en dépensant de l’argent, en
multipliant les soutiens politiques, en formant ceux qui, en 2014, avaient
fomenté le coup d’État. En 2004, la Révolution orange, c’était quoi ? Le
troisième tour des élections ? Alors que tout le monde voyait bien que
Ianoukovitch (l’ex-président ukrainien pro-russe entre 2010 et 2014, NDLR) les
avait gagnées. Tout le sud-est de l’Ukraine avait voté pour lui. Donc ils ont
conçu une Ukraine à leur main, ont été à la source d’un changement
gouvernemental et ont transformé les problèmes énergétiques en facteur
politique. Ce sont eux qui ont décidé comment l’Ukraine allait nous
acheter de l’énergie et que ces tuyaux passeraient à travers leur territoire en
transit. Ensuite, il est apparu qu’eux seuls avaient le droit d’agir ainsi,
encore un double standard, et ça ne pouvait qu’exploser, car quand on met dehors
à deux reprises un président élu, ça ne peut pas bien se passer. Ils l’ont viré comme un malpropre !
Le Point : Pouvez-vous expliciter le terme «
Occident collectif » ?
Maria Zakharova : C’est le fait que vous n’avez aucune
politique extérieure individuelle !
À de
nombreuses reprises, lors de conférences de presse, j’ai été témoin des
questions posées par des journalistes à des ministres des Affaires étrangères
des pays européens. Tous répondaient qu’ils n’avaient pas le droit de donner
leur avis sur des questions internationales globales parce qu’ils suivent une
politique collective au sein de l’UE et de l’OTAN. Donc ils ne peuvent que
commenter que les relations bilatérales.
Vous
êtes l’« Occident collectif » parce que vous êtes unis dans un système administratif
de direction au sein de l’OTAN. Depuis les années 1990 et 2000, l’UE a cessé
d’être une union politico-économique, elle est devenue une partie de l’OTAN,
elle a cessé d’être autonome.
Pourtant,
selon certains sondages, la population de tel ou tel pays européen ne soutient
pas les sanctions anti-russe, et ce, non par amour pour la Russie, mais parce
que ça leur rend la vie plus complexe, mais elle n’a aucun moyen de déléguer
son opinion aux dirigeants. On
sait très bien qui a pris le premier la décision des sanctions au lendemain de
2014, c’est Biden, alors vice-président, c’est lui qui a influencé la décision
de l’UE, c’est de notoriété publique. C’est seulement après que les pays de
l’UE ont décidé de nous sanctionner, alors, vous voyez bien ce qu’on veut dire
avec l’idée de « l’Occident collectif » ! Il n’y a rien de répréhensible à
prendre une décision de façon collective, nous
aussi sommes membres de structures collectives, mais il y a une différence
fondamentale : nous décidons avec les autres sur un pied d’égalité.
Sur certaines questions pas vraiment cruciales, les
Européens prennent des décisions de concert, mais dès que certains pays sont
tentés de prendre des décisions qui leur seraient individuellement bénéfiques,
mais qui diffèrent de ce qui est important pour la superstructure, ils sont
punis. Regardez
ce qui se passe en Pologne, et ça n’a rien à voir avec la Russie, elle a sa
propre législation nationale sur la question du genre ou la question nationale,
mais si ça ne plaît pas à Bruxelles, ils sont punis ! Et la Hongrie ! Comment on l’a traitée, comment on
traite Orban ! Voilà : personne ne peut prendre ses propres décisions si elles
ne coïncident pas avec les opinions de « Big Brother ».
Source: https://reseauinternational.net/maria-zakharova-une-femme-au-coeur-du-pouvoir-russe/
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